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« Terraferma » : désir d’outre-mer

19 Novembre 2011 , Rédigé par Passerelle Publié dans #On tourne !

 

Terraferma.jpg

 

Du bleu, du bleu et encore du bleu. On ne s’en lasse pas.

Le bleu saturé du ciel, le bleu onduleux de la mer, le bleu turquoise des criques idylliques, le bleu mystérieux des yeux de Filippo. Composition monochrome, ou presque. Non, il ne s’agit pas des toiles d’Yves Klein, mais du dernier film d’Emanuele Crialese, réalisateur prometteur déjà remarqué pour « Respiro » et « Golden Door », récompensé récemment par le Prix Spécial du Jury de la Mostra de Venise.

 

Dans le premier, sorti en 2002, le cinéaste italien brossait le portrait de Grazia (éblouissante Valeria Golino), mère de famille bousculée entre ses enfants turbulents, jeune femme fantasque et éprise de liberté, prise au piège des traditions qui ont la vie dure sur l’île sicilienne de Lampedusa. Dans le second, quatre ans plus tard, il racontait l’histoire d’un paysan sicilien du début du XXè siècle qui, comme tant d’autre émigrés avant et après lui, quitte tout pour tenter sa chance de l’autre côté de l’océan.

 

« Terraferma » semble faire la synthèse entre les deux : retour à Lampedusa pour le troisième volet de cette trilogie sur le rêve de liberté. Mais cette fois, c’est une thématique on ne peut plus contemporaine qui est abordée : l’immigration clandestine sur les côtes du Sud de l’Italie. Thème brûlant, comme la terre aride de l’île, comme le soleil qui tanne la peau des vieux pêcheurs, comme la lumière qui embrase la photographie, comme la violence qui explose dans le cœur de Filippo. Thème poignant, traité avec une sobriété déchirante, en quelques dialogues épurés soutenus par des ralentis mesurés et une bande-son envoûtante.

 

 

  

 

Choc des cultures : le blanc, le noir. Cortège noir, fleurs blanches.

Composition bichrome, jouant des contrastes de lumière pour révéler les différences. Non pas l’échiquier, mais plutôt le ying et le yang, qui se rejettent d'abord pour finalement se mêler, comme ces corps embrassés dans un vibrant chiaroscuro. La peau blanche des touristes allongés sur la plage, la peau noire des clandestins échoués sur le sable. Deux mondes opposés : l’un n’est que luxe, calme et volupté, entre fêtes débraillées, topless, joints et ivresse ; l’autre crie la souffrance, la faim, la soif, le désespoir.

 

Entre ces deux mondes, Filippo se débat. Son grand-père, lui, a déjà pris son parti : celui de la mer. Celui de la pêche. Celui du travail. Même si son bateau n’est plus qu’un vieux rafiot rouillé, il continuera à pêcher, parce que c’est ce qu’il a toujours fait. Même si la loi du pays l’interdit, il recueillera les naufragés : le code de la mer a ses lois, que la raison d’état (et moins encore le maresciallo des carabiniers) ne connaît pas.

 

Mais les plus jeunes de l’île ne le voient pas du même œil. Pour eux, il faut se réinventer, attirer les touristes, oublier la pêche, parler italien, et voyager – arracher les vieux papiers peints où la poussière a laissé la trace des disparus, briser le sceau du passé, et repeindre les murs, pour continuer à vivre.

Choc des générations : la force des traditions, l’énergie du renouvellement.

 

Balancé de l’un à l’autre, tour à tour Filippo (un brillantissime Filippo Pucillo) rit, pleure, frappe, hurle, nage de rage ; les émotions se succèdent dans son regard comme une rafale, sur la cadence fougueuse du dialecte sicilien ; dépassé par des enjeux plus grands que lui, déboussolé par la marée de sentiments qui le submerge soudain, il nage entre deux eaux ; et c’est lui qui fait le lien entre les deux univers, reliant enfer et paradis avec sa tête d’ange raphaélien - troublant purgatoire.

 

Récit d’initiation, documentaire-fiction, « Terraferma » est un film gorgé d’humanité ; attention, on ne sort pas indemme de cette plongée abrupte dans la réalité, qui évite toutefois soigneusement l’écueil du misérabilisme. Mais l’espoir est là, en germe… au loin, sur la terre ferme.

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