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Sur un rythme de « dos por cuatro »

22 Janvier 2009 , Rédigé par Passerelle Publié dans #Intermède musical

Je vais essayer de faire bref et synthétique, mais ce n’est pas gagné : vous avez dû vous en apercevoir, la concision n’est pas mon fort (sauf en dissert’ de philo, l’aridité conceptuelle de Kant et Hegel ayant asséché ma plume d’ordinaire par trop prolixe) ; et quand il s’agit d’un sujet qui me tient autant à cœur que le tango, je pourrais en parler pendant des heures…

 

Dur à croire, mais à l’origine, le tango était… noir ! Le mot « tango » signifie en langue kongo le lieu fermé où se déroulent des rituels sacrés, rythmés par les tambours, et où ne pénètrent que les initiés ; pour les négriers, le « tango » était l’endroit où ils parquaient les esclaves avant l’embarquement, puis, de l’autre côté de l’océan, celui où ils les vendaient.

 

Peu à peu les deux notions ont fini par se confondre, le « tango » désignant un lieu fermé où l’on entreposait les tambours et où l’on venait pratiquer musiques et danses, les « bailes de tango », qui se diffusent dans l’importante communauté noire du Rio de la Plata (Buenos Aires et Montevideo).

 

Tournant du XXème siècle : les immigrants venus d’Europe débarquent par millions, et aux rythmes africains vont se mêler ceux des danses de salon européennes : mazurkas, scottish, valses… pour Michel Plisson, le tango c’est un métissage : « une rythmique afro, des musiciens italiens jouant sur des instruments allemands des mélodies de l’Europe de l’Est avec des paroles qui viennent des zarzuelas espagnoles. »

 

Surgi des bas-fonds populaires de Buenos Aires, le tango est encore à l’aube du XXème siècle une danse de bordel, pratiquée par les hommes et les prostituées ; par les hommes entre eux souvent aussi, puisque les femmes fréquentaient peu ces endroits mal-famés, où les jeunes gens de bonne famille venaient s’encanailler à leurs heures perdues.

 

C’est à Paris, où ces bourgeons bourgeois allaient faire leur éducation, que le tango acquiert ses lettres de noblesses dans les années 1920, avant de rentrer, épuré et prisé de la bonne société, en Amérique du Sud.

 

Les années 1930 et, surtout, 1940, correspondent à l’ « âge d’or » du tango : les plus grands compositeurs, chanteurs et chefs d’orchestres (Carlos Gardel, Francisco Canaro, Anibal Troilo, Osvaldo Pugliese, pour ne citer qu’eux), des centaines d’orchestres jouant dans toute l’Argentine, des bals à tous les coins de rue…

 

Avant que le succès des rythmes et groupes anglo-saxons (rock’n roll, blues, Elvis Prestley et les Beatles) et le poids de la dictature n’éloigne dans les années 1950 la jeune génération de la danse de leurs ancêtres.

 

Aujourd’hui, le tango revit, et grâce à l’apport des danseurs contemporains et des groupes de tango electro (Gotan Project, Narcotango, Bajofondo, Tanghetto…), il a repris des couleurs : à côté du « tango de salon », ou « tango musette », formel et un brin guindé, le tango argentin, parfois aussi appelé rioplatense[1] (du Rio de la Plata) offre une grande liberté d’improvisation et autant de sensualité.

 

Pas de pas, pas de figures imposés : une salida basica (« sortie de base ») à partir de laquelle le danseur enchaîne d’autres pas et d’autres figures, se calant sur les temps et contre-temps d’une musique lente et langoureuse ; l’ « abrazo », une posture digne et sobre, encerclant les danseurs et jouant avec l’équilibre et le déséquilibre ; l’homme guide, la femme suit ; mais derrière ce machisme primaire apparent, c’est un subtil jeu technique de transferts de poids du corps et d’indices à peine perceptibles qui font du tango une danse mystérieuse et fusionnelle.



 

Une musique, une technique, une danse, un univers aussi : celui de la « milonga[2] », un univers où il faut être initié aux multiples codes implicites, pour éviter les faux pas (au propre comme au figuré)... Aujourd’hui en Europe, le protocole est moins strict, et l’on peut s’en distancier ; mais en Argentine, jamais une femme n’ira inviter un homme à danser ! Elle le lui fera comprendre d’un regard chargé de sens, auquel il répondra par le traditionnel « cabeceo », un courtois signe de la tête ; l’accord ayant été conclu, tous deux rejoignent la piste, pour une « tanda » (série de quatre ou cinq morceaux de tango, valse, ou milonga) seulement ; ensuite, « cortina » (« rideau ») ! La piste se vide, les couples se défont, pour mieux se refaire avec un(e) autre partenaire. Et ainsi de suite jusqu’au bout de la nuit…

Autant dire que la séduction entre en action : s'il n’est plus choquant aujourd’hui d’arriver vêtu d’un simple jean, la plupart des danseurs feront preuve d’une exquise élégance, et rares sont les Argentins qui dansent sans veste malgré la chaleur étouffante des salles de bal ; quant à ces dames, elles rivalisent de leurs charmes, décolletés et jupes fendues, talons hauts et bas résille, avec plus ou moins bon goût, certaines frisant la vulgarité, mais d’autres resplendissant d’une rare beauté…

 

L’accessoire indispensable : l’éventail ! Il rafraîchit (cf supra) et donne une contenance, pour tuer l’attente du cavalier ; car si certaines danseuses font l’objet de toutes les attentions, d’autres sont oubliées sur leur chaise, espérant désespérément le cabeceo d’un improbable prince charmant ; et le tango peut alors être cruel…

 

On ne vient pas au tango par hasard ; hérité de la nostalgie des immigrés, le tango porte en lui une gravité, une souffrance, une déchirure qui en fait une danse à part ; les tangueros sont tous des écorchés vifs, chacun venant chercher sa rédemption – ou sa damnation ? – dans l’ivresse d’une transe en danse…



 

Tango mío

 

« Cuando sepa que estás lejos, cuando tu canción
llegue hasta tus oídos,
una angustia habrás tenido y sentirás vos
que está muy lejos de tu sol,
y si piensas en tu casa,
si recuerdas tus andanzas
por esas calles de Dios,
pensarás en tu Corrientes,
tus amigos, tus parientes,
llorarás con tu canción.

Tango,
tango mío que llegás al corazón;
Tango,
es pedazo de mi tierra tu canción.
Tango,
lejos cuando se oye tu cantar,
a tu lado está otra vez,
el amigo que dejás
y estar lejos es un sueño.
Tango,
tango mío cuantas vidas ves pasar.
Tango,
alegrías y tristezas al vibrar.
Tango,
fuiste reo por tu cuna, sí,
por tu lengua, tu caló,
pero te sabés vestir.
¡Todo el mundo te entendió!

Estar lejos, sin amigos, estar sin amor...
hará extrañar tu suelo,
sos el hombre que primero, sin probar favor,
despintará su ilusión.
Cuántos, cuántos corazones
estrellaron ambiciones
en los puertos sin timón.
Y al pensar en tu Corrientes
tus amigos, tus parientes,
¡sufrirá tu corazón! »

Música: Osvaldo Fresedo
Letra: Emilio Fresedo

 


[1] Le Rio de la Plata englobe tout autant Buenos Aires que Montevideo, et Argentins et Uruguayens se disputent la paternité de cette danse régionale… « La Cumparsita » par exemple, le tango le plus célèbre et le plus interprété (plus de 1500 enregistrements) est uruguayen !


[2] Un seul nom pour désigner trois choses différentes : la milonga est le nom d’une forme musicale proche du tango, mais plus rapide, encore imprégnée de rythmes afros du candombé ; la milonga est le nom de l’endroit où les tangueros se retrouvent pour danser ; enfin, c’est le nom que l’on donne aux soirées de tango régulières, pour les différencier du baile, plus ponctuel.

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P
A quand des nouvelles de la passerelles on commence a s impatienter j espere que tu vas bien bisous
Répondre
P
<br /> La Passerelle est sur la route, partie fin janvier pour Rio, point de départ d'un grand tour à travers le Nord et le Nordeste du Brésil : merveilleuse baie de Guanabara, immensité, paix et<br /> beauté de l'Amazonie, riche patrimoine colonial de la côte atlantique, et bientôt... le Carnaval !! A Recife, avant de visiter Salvador de Bahia au son du "frevo" et des rythmes afros...<br /> <br /> Retour prévu début mars à mon campement de base, avec compte-rendu détaillé de ce grand voyage à travers les mille et une facettes d'un pays-continent fascinant ! Patience... vous aurez de la<br /> lecture à ne plus savoir qu'en faire !!!<br /> <br /> <br />